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lundi 17 février 2025

¤ ESPRIT DES LUMIERES VERSUS EMPOISONNEMENT DES ESPRITS

 

                Ouverture d’un nouveau chapitre ?

L'engagement pour la dignité humaine, et donc la liberté, en Iran est  un combat naturel pour ma génération et pour celles qui l’ont suivie. Et d'abord parce qu'il se situe sur un terrain hélas très connu. En ce qu'il en appelle, ce combat, à des confrontations qui sont en quelque sorte familières pour avoir parcouru les deux siècles précédents.

Rien de semblable dans l'émergence et les conquêtes, qu’on se prend à penser sans retour, du nouvel avatar, terrifiant, de l'esprit du mal.  Celui qui procède par une contagion aussi rapide qu’elle se montre irrésistible. Et dont l’incarnation la plus spectaculairement visible, la plus immédiatement exemplaire et de très loin la plus nantie en capacités de nuire, tient en un Trump réélu – et réélu en un personnage refaçonné en pire de ce qu’il exposait en 2016 d’obscénité politique.

Mais cette incarnation de l'esprit du mal n’aurait pas grand-chose à montrer du capital de maléfices qu’elle renferme si elle n’était pas flanquée par la phalange des muskistes, chez qui démences et fanatismes se confondent, qui entend changer le monde.

L’hégémonie qui est son but tracé à très court terme est celle du profit – non plus celui dont le règne a été combattu par les socialismes, mais une idole armée de foudres invincibles et érigée par la finance, les marchés et les géants du numérique.

Les réseaux de conversion à cette religion pétrie d’un nouveau fondamentalisme, dont les dogmes sont sans doute plus absolus encore que ceux des cultes antérieurs, sont tissés depuis nombre d’années, non pour convaincre mais pour dégrader les entendements humains, inclus ceux qui avaient progressé vers une émancipation des pires arriérations : ces réseaux n’ont rien de ‘’sociaux’’ car tout les assimile à un empoisonnement des esprits.  

Après le Brésil de Bolsonaro, l’Argentine est déjà convertie, l’Allemagne est menacée de l’être, et le Danemark a devant lui les prédicateurs qui débarquent au Groenland … Autant comprendre qu’il n’y aura pas d’abri, hors l’ombre revigorante qu’offre l’esprit des Lumières – de toutes les lumières authentiques.

Pessimisme que tout ceci ? Ou tout simplement la réflexion que nous sommes face à un monstre dévorant les intelligences, et que cela nous éclaire sur l’impuissance qui a sévi au moment où le nazisme montait en puissance. Et qui s’applique à toutes les tyrannies.

Didier LEVY 

D'HUMEUR ET DE RAISON.

Publié le par le blogue Garrigues et Sentiers

samedi 12 octobre 2024

¤ SOMMES-NOUS EN 1789 ?


                Des Etats Généraux de 1789 a surgi un nouveau monde politique.

           Qu’en sera-t-il de la dissolution que nous venons de vivre ?


I – INTERROGER L’HISTOIRE SUR LES RESSEMBLANCES QU’ELLE SUGGÈRE.

Le rapprochement, à 235 ans de distance, a tout a priori pour paraitre incongru. Quel point commun entre la réunion de l’assemblée des Trois Ordres du royaume - institution dont l’archaïsme éclatera au grand jour quasiment dès sa convocation et, on ne peut plus visiblement, dans les péripéties et désordres qui entourent son élection -, et la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le président de la République au soir d’élections européennes défavorables à son camp ?

A coup sûr aucune similitude. L’Histoire, au demeurant, en connait-elle jamais d’une époque à une autre ? Mais sa réponse sera moins tranchée si on l’interroge sur des ressemblances.

A cet égard, la lecture de l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel sur les sept jours (17-23 juin 1789) qu’il dépeint comme ceux où ‘’la France entre en révolution’’ [1] offre, dès ses premières pages, un tableau de la France sur laquelle règne Louis XVI où prennent place toutes les divisions, antagonismes et colères qui, par leur nombre, leurs diversités et leurs enracinements, démontrent que la monarchie et l’Ancien régime ne pouvaient plus se réformer. Le royaume n’en était plus au temps de la révision de ses règles, à la modernisation de ses formes de gouvernance par trop vétustes. Autrement dit, le système en place avait ‘’fait son temps’’.

Un tableau qui s’aggrave encore au fil des chapitres. Archaïsme du corpus de l’architecture sociale, dénoncé d’un bout à l’autre du royaume, frustrations et ressentiments accumulés, et visant d’abord l’emprise des privilèges, iniquité et impuissance des modes de fiscalité sur fond d’une dette publique d’un niveau jamais encore atteint (et lié aux dépenses pour la guerre d’Indépendance américaine), conjonction de la pénurie de pain, de l’inflation et des misères, obstructions récidivantes des Parlements - qui s’avèreront cette fois vraiment irréductibles -, addition des rancœurs propres à chaque composante d’une société d’ordres et de cloisonnements, et cumul des exaspérations qui vont des curés, dressés contre la noblesse d’Eglise, aux paysans n’en pouvant plus des droits seigneuriaux … Plus l’extension d’influence de l’esprit des Lumières qui, à travers ses académies, ses sociétés et les loges maçonniques, a dispensé l’intellection d’un avenir où ni une monarchie se réclamant de droit divin ni ses antiques lois n’ont plus leur place. Une intellection qui, outre la proximité de  quelques prélats députés de leur ordre aux Etats-Généraux, rencontre l’adhésion de membres éminents de la Noblesse qui compteront dans les débats et décisions de l’Assemblée nationale devenue constituante.

Au long des sept jours dont l’auteur explore le sens et fait percevoir la densité, se déroule un magistral démêlement des crises, des contradictions et des dissociations qui composent l’état du royaume à l’approche de l’été 1789. Eclairé, pour le lecteur, par le recul qui est apporté sur les contradictions insolubles qui se sont enchainées des années 1785 à 1788.

S’y ajoutant la mise en perspective de la séquence qui s’engage, irréversiblement, et qui est régulièrement portée, par un regard en quelque sorte rétrospectif, depuis les développements ou les reculs ultérieurs de la Révolution.

Et dans ce qui donne à penser, au fil de ces sept journées, que le régime – la monarchie qui sera désormais celle de l’Ancien régime - avait ‘’fait son temps’’, entre une raison circonstancielle attachée à la conduite du roi à chaque étape de sa confrontation avec le ‘’coup d’Etat’’ des députés du Tiers. Sur ce point, l’auteur propose une très convaincante évaluation de la part qui revient à Louis XVI, qu’il prenne en compte le caractère et l’éducation du personnage, ou la place que tiennent ses conceptions de l’ordre politique dans sa vision et son appréhension de la situation impensable à laquelle il fait face.

Cette évaluation, posée devant l’état de désagrégation de l’ordre social du royaume, renvoie aussi des constats factuels qui attestent, dans la répétition des séquences de désordre, de subversion ou de violence meurtrière à travers le royaume, de la diminution progressive, rapide et irréversible des moyens de rétablir l’autorité - si le choix avait été fait de la répression par la dissolution des Etats-Généraux et l’écrasement des émeutes et autres mutineries. Il en ressort que les inactions, les maladresses et contretemps du monarque n’ont, le plus probablement, rien changé au cours de l’Histoire qui s’écrivait et qui était, par une conjonction de facteurs irréductibles, celle de la fin d’un monde. La part étant faite à la tentation de tenir l’Histoire pour déterminée – et en l’espèce, par le récit que nous en avons, exclusif de tout autre déroulement.

Que vient faire ici la dissolution du 9 juin 2024 ?

Le décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l'Assemblée nationale soulève, et a soulevé, des questions si nombreuses et si engageantes pour le devenir des institutions de la Vème république (pour ce qu’on désigne ainsi), et a provoqué une impasse politique si prolongée, et par là sans exemple, qu’on s’attendrait à en voir le sujet traité dans son seul contexte – éventuellement étendu à la pratique présidentielle en place depuis 2017.

Mais le rapprochement ici abordé se défend si l’on admet qu’il interroge une comparaison des figures qui composent deux tableaux politiques : celui qui entoure la réunion des Etats-Généraux le 5 mai 1789 et, en vis-à-vis plus obscur, celui de la réunion le 18 juillet 2024 de l’Assemblée nationale élue les 30 juin et 7 juillet précédant. Et plus précisément, ce que ce que l’un et l’autre disent, respectivement, de l’état du royaume et de l’état de la nation.

Redisons bien qu’il n’existe aucune similitude concevable entre les deux tableaux distants de plus de deux siècles. Mais que se distingue entre eux, dans le dessin général de leur composition, au moins un air de ressemblance, et suffisamment insistant pour qu’on envisage de leur reconnaitre des traits communs. Ne suffit-il pas pour cela qu’on retire de l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel l’opinion que la monarchie et l’Ancien régime n’étaient plus en capacité se réformer : trop de contradictions et trop d’obstacles accumulés – et gigantesques : économiques, financiers, sociaux et sociétaux, idéologiques … -, trop d’archaïsmes et trop de dissensions enracinés, et trop de frustrations, de réfutations et de séparations creusées face les unes aux autres.

Une société politique attendait avec impatience de s’inventer et de naître, et sur les trois dernières années d’enlisement du régime, puis dans l’accélération des mois de préparation et d’élections menant à la réunion des Etats-Généraux, toutes les démonstrations de l’inclusion de l’Etat monarchique et de son système organique dans un passé voué à disparaitre s’étaient additionnées et développées comme les attendus d’un arrêt sans appel.

Les sept jours de ‘’l’entrée en révolution’’ en dressent la conclusion dans le constat de l’impuissance du roi, de l’appareil étatique et de la Noblesse, qui ne peuvent ni comprendre ni maitriser ce dont est fait le temps prochain de leur disparition. Plus qu’une incompréhension : un exil intérieur qui rend ces trois acteurs (hors une part de l’administration étatique) totalement étrangers au changement qui les emporte. Le roi déclare que « les Français n’ont pas changé », mais cet aveuglement précipite sa perte. Des concessions, en séance royale, sont faites au Tiers état, et qui pouvaient, par leur portée, paraitre répondre aux attentes ‘’progressistes’’ déjà exprimées dans les cahiers de doléances : représentation élue votant l’impôt et les lois et établissant l’état des dépenses et recettes de l’Etat, suppression d’iniquités fiscales parmi les plus fortes, liberté d’opinion (sauf atteinte à la religion) et de la presse, substitution plénière d’un nouvel état de droit aux pratiques apparentées à l’arbitraires …

Mais ces concessions s’effacent sur le champ aux yeux des députés du tiers qui ne retiennent que la perpétuation des fondements et du référentiel de l’ancienne monarchie dont le roi écarte toute révision : principalement le maintien des trois Ordres et des privilèges des deux premiers, pourtant si manifestement haïs, et la sanction royale des mesures approuvées par les représentants de ces ordres. Des députés qui reçoivent le discours de Louis XVI comme un outrage à l’Assemblée nationale qu’ils ont instituée et dont les décrets qu’ils y ont votés sont écartés au motif qu’ils sont contraires aux lois du royaume. Et comme l’expression provocatrice, tant sur le fond des déclarations conservatrices du roi que dans la forme du cérémonial de cette séance royale, de la somme des archaïsmes qu’ils sont décidés à effacer à tout jamais.

Là se trouve la première ressemblance avec notre présent. Elle est suggérée par l’affrontement entre les trois Ordres qui s’instaure dans le cadre des Etats-Généraux convoqués en 1789, avec les députés du tiers qui récusent la légitimité des députations de la Noblesse et du haut Clergé. Trois ordres qui se figent sur des clivages et des rejets et qui ne sont pas sans donner à penser aux trois blocs qui se partagent la composition de l’Assemblée nationale issue de la dissolution du 9 juin 2024 et qui déclarent exclure a priori tout compromis entre eux. Avec cette différence que parmi les représentants de la Noblesse et du Clergé, les transfuges acquis aux vues du tiers ne tarderont pas à se manifester et pèseront par la suite d’un grand poids personnel.

L’autre ressemblance tient à ce que les deux situations conflictuelles, et les oppositions irréductibles qui ne cessent de s’y creuser, ont pour enjeu un ordre économique, social et sociétal vomi par la coalition des mécontentements et rejeté au nom des aspirations égalitaires, mais déclaré intangible par les mouvances conservatrices ou réactionnaires. Sans pour autant qu’on s’aventure dans une comparaison entre un roi à qui ne peut même pas venir à l’esprit que les lois antiques et les ordres constitutifs de son royaume puissent être remis en cause et, encore moins, un jour effacés, et un président qui se voit comme l’incarnation de la modernité, et l’infaillible traducteur des commandements que celle-ci dicte à son pays et à son époque.

Etrange modernité au demeurant qui n’est que la conquête du monde par les postulats d’un capitalisme conceptualisé et systématisé dans sa forme moderne aux abords du règne de Louis XVI, et dont une formidable multiplication de moyens – dans tous les négoces et dans tous les modes de production, d’échanges et de communications – a fait une encore plus formidable fabrique de profits. Financiarisation, mondialisation, numérisations et domination des réseaux, exploitation à outrance des ressources et des hommes, sur fond de dévotion obligée au tout-marché et au culte de la concurrence, nous ont bâti ces dernières décennies des sociétés socialement régressives où après le temps des victoires politiques du reaganisme et du thatchérisme, nos subordinations aux directives d’une Europe de Bruxelles devenue le Saint-Siège continental de la religion ‘’néo-libérale’’, ont soit aboli, soit amputé les apports historiques du Welfare state.

Mais, quoiqu’il en soit, cette ressemblance s’étaye au moins sur un fait partagé. L’Ancien régime est mort en quelques mois de l’impossibilité de répondre à deux alarmes que la vétusté de son système le privait des moyens de conjurer : la menace de la banqueroute et la détestation suscitée par les privilèges en place. La France de 2024 n’est-elle pas comme immobilisée devant deux murs qui lui bouchent la vue sur son avenir : le grossissement continu du déficit public – sur-argumenté par les nantis pour exclure toute priorité de préservation ou de réparation des conditions de vie du plus grand nombre – et les fracturations sociales et sociétales qui se rapprochent d’une dislocation de la nation. La monarchie a méconnu, ou cessé de connaitre, les attentes et les besoins de ses sujets, et la Vème république s’est installée dans une méconnaissance du même ordre. A la première, a échappé que les inégalités forgées par et sur son histoire étaient devenues insoutenables, et la seconde en est venue à faire le choix de creuser toujours davantage les inégalités contemporaines en cachant de moins en moins son mépris pour ceux qui les enduraient et s’en indignaient.

 

II –LES RESSEMBLANCES HISTORIQUES SONT DE LIBRE PARCOURS.

Ces ressemblances ne tracent pas des futurs identiques.

D’abord, parce que sous la forme des airs de ressemblance, elles inclinent à l’erreur, par le grossissement des faits rapprochés d’une époque à une autre. Ainsi en a-t-il été du « Nous sommes en 1788 » employé par Pierre Mendès France devant le congrès du parti radical en septembre 1953. Le parallèle alors dressé par celui que sa dimension d’homme d’Etat allait statufier en ‘’PMF’’, n’a pas été validé par les événements qui suivirent : la IVème république finit certes en 1958 au bord de la guerre civile, mais celle-ci fut évitée par le retour in extremis aux affaires du général de Gaulle – seul personnage en capacité de sortir le pays de la folie qu’avait été la colonisation de l’Algérie dans sa visée annexionniste, et de la guerre de terreur sans issue qui la concluait. Pour le reste, il n’y eut pas de révolution, mais seulement un changement du tout au tout des institutions de la France - lequel allait substituer à une république conformée depuis toujours en régime d’assemblée, une monarchie élective fondée sur l’improbable conjonction d’une gouvernance de type orléaniste et du césarisme plébiscitaire du Second empire.

Le modèle social ne fut aucunement remis cause : le pacte de solidarité sociale et, à sa base, l’intervention économique de l’Etat, issus des idées politiques de la Résistance (actées par le programme du CNR) et mis en place à la Libération dès les gouvernements présidés par général de Gaulle, ne cessèrent pas de se déployer.

Les vraies ressemblances, elles, sont bien en mesure d’identifier des causes, sinon identiques, du moins voisines qui s’offrent à être discernables dans les crises successives d’une Histoire – une identification qu’on a ici tenté en esquissant des diagnostics comparables quant à l’origine de deux séquences de convulsion politique se présentant à 235 ans de distance. Ce qui a été emprunté à l’ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel sur le processus historique conduisant aux sept jours de juin 1789 où la France a basculé dans la Révolution, sur l’état du royaume qui a rendu celle-ci inarrêtable et, en particulier, sur les désagrégations irréversibles de l’ordre social de l’Ancien régime et sur l’impuissance flagrante de la monarchie en ses dernières années, ne valide-t-il pas un rapprochement avec les deux décennies passées (proposons le repère de 2005) qui ont été celles des régressions et des amputations les plus destructrices infligées au contrat social qui régissait notre République ? Ces décennies où l’avenir commun dont on prétendait fixer les destinations qu’il aurait à suivre était fait d’autant d’impasses pour la nation, majoritairement ressenties et vécues comme telles, et débouchant sur la remise en question du pacte constitutif de la cité sous lequel se range ce que l’on désigne par le vivre ensemble.

Ce processus d'invalidation s’est composé à chaque élargissement des inégalités de statut et de conditions de vie, et à chaque dépréciation d’un niveau de ressources, de protection et de considération, et il s’est façonné sous les traits que lui ont imprimés les catégories sociales qui, dans leur diversité, avaient à subir l’enchainement des relégations : autour d’une mise en doute grandissante de la démocratie représentative et de son corpus référentiel, n’ont cessé de s’étendre les expressions multiples d’un ‘’rejet du système’’, allant des différentes formes d’abstention individuelle ou collective aux explosions d’émeutes urbaines. Les replis - en premier lieu catégoriels, professionnels, sociaux, géographiques … -, et les renfermements de plus en plus agressifs sur les rancunes et les aversions se sont additionnés et fortifiés à chaque étape d’abandon d’un territoire ou d’une population, avec pour effet, moins surprenant qu’il n’y paraissait de prime abord, d’investir l’extrémisation droitière de la fonction tribunicienne puis de la pousser aux portes du pouvoir : la disparition ou la rétraction de protections jugées essentielles, et qui avaient été regardées comme assurées, entraine une société dans la sur-réaction qui rend audibles les dénonciation de brebis galeuses et les désignations de boucs émissaires, les unes et les autres appartenant au magasin - de nouveau grand ouvert - des cibles haïes par les partis d’extrême droite.

Cibles consignées dans la nomenclature des proscriptions dressées par la xénophobie et le racisme. La proscription du musulman ayant  pris la première place sur le catalogue des périls désignés aux ‘’On est chez nous’’ - et celle du juif passant à un second plan ou recourant au registre de l’allusif (et, pour d’autres bords et d’autres formes, s’alimentant des conflictualités proche orientales).  

Les fureurs et les insurrections 

       qui ne mènent pas à des révolutions porteuses d’espoir.

Les directions ainsi prises dans ce processus interrompent – brutalement – la recension des traits communs entre les paysages politiques de la fin de l’Ancien régime et ceux de l’épuisement de la V ème république. Dans la première configuration, le mouvement qui emporte la monarchie de droit divin est animé - quoiqu’on pense des suites vers lesquelles se dirigera la Révolution avec la période de la Terreur – par un esprit de progrès qui mérite d’être qualifié d’indéniable malgré la confiscation bourgeoise de ses fruits.

Dans la seconde, se discerneraient difficilement une inspiration du même ordre et une perspective de changement bénéfique. Les Gilets jaunes, de l’occupation initiale des ronds-points aux batailles de rue et aux déprédations les accompagnant, et la Grande Peur de 1789, avec les paysans marchant sur les châteaux pour y bruler les titres représentatifs des droits seigneuriaux – voire pour bruler également les dits châteaux – ne projettent manifestement pas la même sorte de futur. La Grande Peur est immédiatement suivie par une séquence de triomphe pour l’esprit des Lumières, où se succèdent l’abolition des privilèges de la nuit du 4 août et notre première Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’explosion de colère, d’une dimension historique, dont part le soulèvement des Gilets jaunes donnera lieu, après coup, à un grand débat national : les délibérations auxquelles celui-ci donnera lieu, les préconisations qui en sortiront, se verront reconnaitre sérieux et pertinence, mais pratiquement aucune suite concrète ne leur sera donnée au niveau où se dirige l’Etat dans la Vème république.

La traduction politique de l’insurrection populaire de 2018-2019 et, en même temps, l’exposition des composants économiques et sociaux de cette subversion et de l’étendue de son enracinement sociologique dans la ‘’France périphérique’’, se liront en fin de compte dans la progression sidérante du nombre des députés du Rassemblement national (ou du ‘‘Front national’’ jusqu'en 2018) à l’Assemblée nationale : de 8 élus en 2017, ils passent à 89 élus en 2022 puis, malgré l’efficience électorale du front républicain qui fait barrage au second tour des législatives à l’arrivée du postulant RN au poste de Premier ministre, à 126 sièges en 2024 –représentation qui, majorée des députés ciottistes ‘’À droite’’, atteint 143 sièges sur les 577 que compte l’Assemblée. Une progression qui est éclairée par trois constats factuels qui s’échelonnent sur les sept dernières années : 2017 voit le scrutin législatif marqué par un taux d'abstention au second tour jamais atteint en France pour cette élection (57,4 %) ; en 2022, avec 89 sièges, le RN réalise déjà une percée historique et, en 2024, ses 126 sièges obtenus lui valent un effectif de députés que, quelques années en arrière, les observateurs les plus alarmistes auraient très vraisemblablement tenu pour invraisemblable.

A cette amplification des forces de l’extrême droite s’est conjuguée la droitisation de l’opinion sur les thèmes sur-exploités, et toujours plus abusivement corrélés, de l’immigration et de l’insécurité. Les dénonciations invariables des FN et RN ont été trouvé écho dans les partis conservateurs, ces derniers occultant leur responsabilité – partagée avec la sociale démocratie - dans les carences en moyens publics qui ont fait échec tant à l’intégration des générations issues des primo-arrivants qu’à l’accomplissement par l’Etat de ses missions de justice et de protection de l’ordre républicain.   

En cette fin de 2024, année politiquement confuse et incohérente entre toutes, les lendemains qui se positionnent devant nous ne renvoient pas à un retour sur des épisodes antérieurs de notre Histoire. Ni pour conforter ni pour démentir un présage favorable. Les mois qui nous séparent de l’échéance institutionnelle de 2027 ne s’appréhendent pas non plus dans la seule alternative d’une prise pouvoir par l’extrême droite et ses alliés ou d’une nouvelle contre-offensive d’un front républicain y faisant barrage – en dépit du souvenir laissée par l’impuissance de ce front dès après les résultats du second tour des législatives de 2024.

Dans la faible capacité où l’on est d’évaluer les risques, et de se représenter les dommages et les convulsions qui, pour les différentes configurations que pourraient prendre les concrétisations de ces risques, sont susceptibles d’en ressortir, la probabilité qui parait la plus forte se dessine sur le terrain du social et des conditions de vie. A cet égard, le peu de vue qui s’offre sur la fin du septennat en cours semble entièrement occupé par la cure d’austérité, sans précédent de pareille ampleur, qu’annonce la crise des déficits publics, tardivement chiffrée devant l’opinion et d’abord entourée de déclarations à visée rassurante quant aux mesures qui en découleront.

Qui  peut encore, en effet, se représenter que ces mesures se cantonneront à ’’un effort temporaire et limité’’ demandé aux 0,3 % ‘’des plus fortunés’’ et aux 300 très grandes entreprises productrices d’énormes profits ?  Dans une économie entièrement gouvernée par la pensée unique qui s’auto désigne comme néo-libérale et dont l’emprise est planétaire, tout donne à s’attendre à ce que les dispositions à venir s’inscrivent dans la continuité des précédentes ‘’politiques de rigueur’’, avec un impact sociétal d’abandons, de paupérisations et d’injustices bien plus cruellement vécu.

Et  comment imaginer qu’un pays dépeint, il n’y a pas si longtemps, par un ministre de premier rang passé des LR à la droite macroniste, comme une ‘’marmite sociale qui bout’’, subira en silence des dizaines de milliards d’euros d’amputations dans les budgets de la nation ? Il serait plus que téméraire de compter sur la résignation des catégories sociales qui souffrent depuis des lustres de la détérioration des services publics, et conséquemment de la restriction des accès à l’hôpital et aux soins, à la sureté, à l’instruction ou à la justice. Des catégories soumises à des ségrégations, sociologiques et géographiques qui s’impriment dans leur quotidien jusqu’au degré du non tolérable. Quand ne s’y sont pas ajoutées les relégations dues au retour d’une crise du logement, ou l’appartenance à un monde paysan qui a vu le suicide devenir la réponse à l’impossibilité de vivre de son travail.

Les mêmes qui entendent ministres, dirigeants politiques et économistes, en position de grands inquisiteurs de la religion du tout-marché ou de théologiens adossés à la dogmatique de la libre entreprise, imputer à la protection sociale, pilier du contrat républicain réécrit à la Libération, d’être ‘’archaïque et insoutenable’’ - une protection sociale construite dans les dénuements d’un après-guerre dévasté puis dans les reconstructions menant aux Trente glorieuses, mais soudain devenue non-finançable dans le richissime capitalisme du XXIème siècle.

Les porte-voix politiciens et les doctrinaires du néolibéralisme poussent le mépris envers les moins nantis, dans la forme la plus injurieuse et provocatrice que ce mépris peut revêtir, jusqu’à disqualifier d’un mot l’ensemble des acquis de la sécurité sociale en dépréciant ceux-ci sous la dénomination d’assistanat : le discours qui en ressort vise à dégrader le chômeur en ce fainéant qui n’a pas ‘’traversé la rue’’ pour aller prendre l’un des emplois qui abondent sur le trottoir d’en face (fussent-ils sous-payés et sous-qualifiés), tandis que dans les réquisitoires ciblant le ‘’trou’’ imputé à l’assurance-maladie, ou la pénalisation économique attribuée aux ‘’charges’’ patronales, la personne handicapée, le malade de longue durée, et le simple patient trop à la peine devant ses frais de santé, finissent par être invisibilisés - quand ils ne sont pas catalogués comme aussi ruineux que les fraudeurs à la carte vitale.

La multiplicité des risques VERSUS le « Gouverner, c’est prévoir ».

Même si, dans un premier temps (le réalisme l’emportant sur les annonces en sens contraire destinées à concilier la nouvelle majorité relative), les augmentations d’impôts et autres formes de contributions publiques doivent prendre, dans l’engagement de la réduction des déficits,  une part plus importante que celle des coupes budgétaires – les plus marquantes impliquant des changements structurels, et donc le délai d’études préalable que ceux-ci supposent -, le cumul des deux démarches, sur les trois années à venir, se projette sur fond d’une surabondance de risques sociétaux. Leur inventaire, et encore bien davantage celui des évènements sur lesquels ils sont susceptibles de déboucher – lesquels vont par nature du providentiel au brutalement chaotique -, sortent trop largement du champ ouvert à l’anticipation raisonnée et distancent les prévisions, même court-termistes.

Tout juste a-t-on de prime abord devant nous, d’un côté, l’épuisement du système monarchique de la Vème république qui expose son impuissance à contenir une extrême droite forte de sa confiscation  des colères sociales et multi catégorielles qui fracturent la nation , et de l’autre côté, la résilience démocratique qu’a portée, avec deux fois plus d’électeurs que le RN, le front républicain au second tour des élections législatives de 2024.

Si l’Histoire ne révèle rien des parcours et des accidents qui, d’échéances en échéances, en écriront la suite – qui entrevoyait en 1789 le paysage politique qui se composerait trois années plus tard ? – quelques éléments heureux de mémoire suggèrent que le départage entre alternatives optimistes et pessimistes sollicite toujours, et au minimum à la marge, l’esprit des Lumières en faveur des premières.

Un renfort que d’aucuns trouveront incertain. Mais qui, surtout, est des plus réticents à laisser renseigner ses contours. Tout juste sait-on qu’il associe l’intelligence et la compassion, l’écoute de l’autre et la solidarité qui en découle. 

Didier LEVY – 11 octobre 2024

D’HUMEUR ET DE RAISON

 

 



[1] « Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution », Tallandier, 2020.

jeudi 22 août 2024

VOTRE IDENTITE N’EST PAS LA MIENNE.

 

Rien ici de la formulation du rejet, mû par la peur, le mépris ou la haine, qui de plus en plus couvre l’espace du débat public. Rien donc de la récusation qu’on signifie à celle ou à celui qui a la prétention, ou la duplicité, de se dire de la même tribu que soi alors que tout le désigne irrévocablement comme étranger à celle-ci.

 

Mais, tout à l’opposé, une réfutation qui s’adresse à la caution que se donnent les énonciateurs des rejets et des récusations, et qui tient dans le mot ‘’identité’’ lui-même, entendu comme une spécificité collective.

A l’encontre de sa définition qui pose que l’identité est composée de tout ce qui fait qu’un individu n’est identique qu’à lui-même.

Certes, l’identité appliquée à un collectif se présente comme une métaphore, figure par ailleurs très noblement employée. Cependant, en l’espèce, la métaphore – qui se décline notamment en ‘’identité nationale’’, ou en ‘’identité française’’ – est défectueuse et partant infondée : seul un régime totalitaire du type de la Corée du Nord en viendrait à imaginer que l’absolue conformité étatique et sociétale qu’il exige, produit une addition d’humains rendus si semblables par l’effet de sa propagande et de sa terreur qu’ils se confondent dans une personnalité uniforme dupliquée à des millions d’exemplaires.

C’est tout particulièrement dans le domaine des idées que toute métaphore est renvoyée à l’examen préalable du point de savoir si sa construction est correcte et recevable. Et, à cet égard, celle qui se heurte à la définition irréductible de l’identité se voit signifiée que cette définition ne valide que le seul sens premier du mot et réfute les sens figurés que l’instinct de ségrégation lui invente.

 

Du côté de l’Histoire.

Mais dans la récusation de l’identité sous son acception identitariste, le passage par la critique sémantique ne constitue évidemment qu’une étape. Le débat public sur ce sujet en appelle à l’Histoire, aux mises en perspective des idéologies, et par-là au retour sur les empreintes que les pires d’entre celles-ci ont laissées.

De cette rétrospection ressort une antinomie radicale entre deux figurations du compatriote - de celui avec qui l’on partage la même patrie. Entre d’une part, la conception qui subordonne l’appartenance à un peuple à la possession de la totalité des déterminants qui sont censés consacrer l’identité collective attribuée à ce peuple, et d’autre part, la conception républicaine de la citoyenneté qui retient la libre adhésion de l’individu au contrat social fondateur de la chose publique. La première dérive inévitablement sur une ethnisation.

Certes, le retour sur l’Histoire paraît, à travers une très grande figure d’historien, apporter de ‘’l’eau au moulin’’ des identitarismes, à qui s’offre la citation du titre des volumes consacrés par Fernand Braudel à « L’identité de la France ». Sauf que ce titre recourt à une image qui veut rendre compte des parcours à travers lesquels « la France [se considère] dans ses cadres chronologiques majeurs » ; et où « apparaissent une série de France successives, différentes et semblables, heureuses ou tourmentées, favorisées ou défavorisées, au gré des fluctuations longues qui ont, au fil des siècles, agité les masses vivantes de notre histoire[1] ». L’étude de ces parcours, en ce qu’elle vise à faire ressortir ce de quoi s’est formée ‘’l’originalité’’ de la France, aboutit à donner au lecteur une idée de ce à quoi tient présentement cette originalité – dans l’hétérogénéité de ses compositions.

‘’Originalité’’ construite dans la longue durée et ‘’identité’’ assignée aux témoins présents de cette construction se relient à deux représentations de nature et de conceptions intrinsèquement différentes : la première se forme dans le travail sur l’Histoire et dans l’intellection qui en ressort, la seconde découle d’une idéologie. Celle dont la somme des déclinaisons peut se voir attribuée une inspiration commune : le nationalisme. Une citation inoubliable va au reste en ce sens, qui englobe ces déclinaisons dans une même récusation énonçant que « Le patriotisme c'est l'amour des siens. Le nationalisme c'est la haine des autres » (Romain Gary).


Du côté des vécus personnels. 

Ces représentations contradictoires de la grande scène de l’Histoire sont également à ramener à l’échelle des histoires personnelles. Ainsi ma famille paternelle vient-elle des juifs d’Alsace, terre germanique où ils étaient certainement présents lorsque celle-ci fut conquise par Louis XIV. La Constituante en fit des citoyens français le 28 septembre 1791 et, peu après, l’un de mes ancêtres de l’époque s’engagea comme volontaire à l’Armée du Rhin – inaugurant une ferveur patriotique qui habita toutes les générations qui vinrent après la sienne (celle qui vécut la guerre perdue de 1870-1871 quitta sans exception l’Alsace annexée par l’empire allemand afin de demeurer française[2] - comme le firent environ 25% des juifs alsaciens).  

Une autre histoire familiale place, en regard, un citoyen français dont les parents, qui avaient quitté l’Algérie avant son indépendance, étaient le plus probablement issus de ces tribus kabyles très anciennement converties au judaïsme. Et dont les ancêtres, au temps de la colonisation du XIX ème siècle, faisaient partie des « Israélites indigènes » d'Algérie (soit les 35 000 juifs du territoire) à qui le gouvernement de la Défense nationale de la III ème République naissante attribua d'office la citoyenneté française par le décret Crémieux du 24 octobre 1870, également signé par Léon Gambetta.

Par la vertu de la conception de la nation que la République a fait sienne et en laquelle elle se reconnait, deux familles issues, sur la longue durée, de parcours aussi dissemblables, peuvent aujourd’hui s’en tenir à leur commune et égale citoyenneté. Et regarder tout le reste comme des spécificités d’histoires personnelles qui s’agrègent aux innombrables autres spécificités, plus intimes ou plus larges – qu’elles soient de croyance ou de pensée, de mémoires transmises ou de langues d’origine, ou simplement de goûts ou de couleurs - qui entrent et sont entrées dans la composition de la population française. Et y ont à peu près tout perdu d’un caractère prononcé de différenciation. Inclus celles venues par les filiations enchainées et autres parentés plus éloignées que le temps finit souvent par entourer de brume et d’oubli.

 

Le versant mémoriel des vécus personnels.

Ces mêmes deux familles peuvent compter chacune des rejetons qui vivent leur citoyenneté française sans se soucier, ou guère plus que très occasionnellement, de savoir – et pour autant que les travaux de Shlomo Sand soient passé entre leurs mains et les aient convaincus - de quelles conversions leurs plus lointains ancêtres tenaient leur judaïsme : conversions de tribus du Maghreb versus conversions de hautes castes du lointain empire Khazar.

Pour la première famille, la charge mémorielle si démesurément lourde des incessantes persécutions, ségrégations et violences anti-judaïques et antisémites perpétrées dans toute l’Europe pendant des siècles - et face auxquelles le génocide hitlérien ne démontre même pas qu’il les clôt - a traversé les générations : ainsi le lien se fait-il de lui-même entre le massacre de la Saint-Valentin de Strasbourg (2 000 habitants juifs brûlés vifs le samedi 14 février 1349), ou chacun des déchaînements meurtriers analogues, et les pogroms de l’Empire tsariste. La seconde famille, elle, a pu compenser son éloignement géographique d’avec la haine anti-juive de l’Europe chrétienne par l’instruction à l’Histoire que dispensait la République.

Pour cette deuxième famille, reste cependant ce questionnement par rapport au legs mémoriel sous lequel la première a dû vivre : quelle connaissance, d’époque en époque, est passée vers les juifs du Maghreb et du Proche et du Moyen Orient – qui connurent un sort globalement tolérable quoique, eux aussi, avec leur part de persécutions sanglantes - quant aux souffrances infligées aux juifs d’Europe ?

Au moins peut-on se dire que les juifs d’une large partie du monde musulman n’ont pas ignoré l’expulsion d’Espagne des juifs ibériques décrétée en 1492 par les rois Très Catholiques : pour ces juifs ibériques, quel que fut le refuge trouvé, par exemple, autour de Bayonne et Bordeaux, aux Pays-Bas, dans l’empire ottoman ou encore en Hongrie, ou à Livourne ou Salonique, le Maghreb (en particulier le Maroc) eut une place majeure comme terre d’exil.

 

La citoyenneté : une intellection de l’histoire, des parcours et des mémoires.

Mais ce qui doit réunir les membres de l’une et de l’autre de ces deux familles, est assurément que leur appartenance à la nation procède d’une intellection de ce qu’est le peuple français qui n’accorde aucune place aux lubies et phantasmes identitaires. Et par là, les rejetons de ces familles ont tout pour porter le plus édifiant témoignage à l’appui de la conception de la citoyenneté que la Révolution commençante a instituée – ce qu’on a ci-avant résumé en la libre adhésion de l’individu au contrat social fondateur de la patrie. Table rase étant simultanément faite des composantes innombrables de l’ordre politique de l’Ancien régime, et – à la fois comme cause et comme conséquence -  d’un pan entier de la culture sociale, à bout de souffle, qui y correspondait. L’abolition balaie les ordres, les privilèges, les coutumes ancestrales, et la diversité infinie des droits et statuts des castes et des sujets à travers le royaume.

Aucun de ces rejetons, pour faire valoir sa qualité de Français, ne sera tenté de se réclamer d’ancêtres gaulois ou gallo-romains, ou de se rattacher à de racines chrétiennes (s’entend catholiques) de la France, ou d’imaginer que son pays est né au baptême de Clovis ou des faits d’armes de ‘’Jehanne, la bonne Lorraine/Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ‘’. Egaux en cela à leurs compatriotes descendants de tous les apports humains arrivés sur l’actuel hexagone, ou rattachés à celui-ci à des moments successifs, oubliés ou contradictoires de l’Histoire : lointaines invasions, dont les germaniques sont restées les seules à peu près connues, extension du royaume à coup des guerres conquérantes ou de mariages princiers … à quoi s’est ajouté l’intégration de la minorité protestante sous Louis XVI, après plus de deux siècles de violences et de guerres religieuses, juste suspendues le temps qui a été dévolu à l’Edit de Nantes, et, dans un tout autre registre, le legs de couleurs de peau fait à notre fraternité entre l’extinction de la monstrueuse Traite des noirs et la liquidation des colonialismes ayant sévi au XIX ème siècle sur tous les horizons.

Respectivement juifs ashkénazes de l’Alsace annexée par Louis XIV, et ‘’Israélites indigènes’’ sépharades de cette Algérie dont le dernier acte du règne de Charles X engage la colonisation, les ancêtres des deux familles dont on a comparé les parcours ont vu, à 130 ans de distance, leur terre de naissance passer par conquête sous la possession de la France. Et pour chacune de ces familles, la reconnaissance de son appartenance au peuple français est survenue à l’un de ces moments politiques qui peuvent légitimement se réclamer de l’esprit des Lumières et du corpus législatif qui s’y éclaire : l’Assemblée constituante en 1791 et le 1er gouvernement de la République renaissante en 1870.

Mais à ces moments s’opposent ceux où rien ne résiste à l’esprit d’imprudence et d’erreur. Ainsi, en 1940, parmi les très nombreux anciens combattants que comptait ma famille paternelle, certains crurent que le maréchal Pétain défendrait les juifs français qui avaient servi en 1914-1918 sous le drapeau tricolore : c’est parmi ceux qui revinrent le plus vite de leur funeste erreur que se comptèrent, à la Libération, le plus grand nombre des survivants.

Et du côté des juifs d’Algérie devenus citoyens français par le décret républicain du 24 octobre 1870, il s’agit de tout autre chose : de l’effarement actuel causé par un descendant qui publie son admiration pour Charles Maurras, adversaire fanatique de la République et incarnation, parmi les plus délirantes, de l’antisémitisme paranoïaque. Un rejeton qui, emporté dans ses divagations et ses égarements, a attribué à Philippe Pétain d’avoir protégé les juifs français.

L’esprit des Lumières ne protège pas de tout. Ni de la méprise, ni surtout des mythologies ancrées dans les pires arriérations du cerveau humain auxquelles les obsessions et les hallucinations d’un désaxé peuvent venir restituer leur influence ou leur emprise mortifère. Mais il trace au moins une frontière entre deux mondes : celui de l’assignation à l’identité, toujours assise sur la soumission et la dévotion à des archaïsmes mentaux, et celui de la citoyenneté qui parie sur l’avenir du collectif tissé par des hommes libres et égaux en droits.

Une citoyenneté qui renvoie, une fois encore, à son extension aux individus de confession juive. Une extension exemplaire, et notamment dans les termes où elle a été soutenue par un premier discours, prononcé le 23 décembre 1789, du député de l’Artois, Maximilien Robespierre. Un discours dont il faut citer ces lignes en ce qu’elles récusent autant les ségrégations qui s’appliquaient aux juifs du royaume de France qu’à y bien réfléchir, les exclusions dont les identitarismes veulent aujourd’hui frapper d’autres minorités :

 «  … rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d'hommes et de citoyens ; songeons qu'il ne peut jamais être politique, quoi qu'on dise, de condamner à l'avilissement et à l'oppression une multitude d'hommes qui vivent au milieu de nous ».

 

Didier LEVY – 21 août 2024



[1] Extrait de la page 4 de couverture de « L’identité de la France – Les hommes et les choses » - Première partie.

[2] L’histoire familiale rapportera que l’un de ces exilés volontaires, au moment d’emporter avec lui ses meubles, fit exception pour une chaise qu’il jeta au feu parce qu’un Prussien s’était assis dessus.

samedi 29 juin 2024

AU SUJET D'UN EDITORIAL DONT L'AUTEURE SE CROIT EN TEMPS DE PAIX

 

Il m'a paru qu'il fallait réagir au tout dernier éditorial de Natacha Polony qui rejoint l'esprit de ses déclarations actuelles sur les plateaux de télévision.

Cette fois, j'y ai vu davantage qu'une aide indirecte au RN (''taper" sans relâche sur LFI).

Une sorte de légitimation par avance d'un gouvernement RN. Par la vertu d'une expression absolutiste de la souveraineté populaire.

Qui passe outre aux limites que l'état de droit (et l'éthique politique) fixe à cette souveraineté.

 Voici donc ce que j'ai opposé sur facebook à cet éditorial.

L'éditorial de Natacha Polony est reproduit à la suite.


 L’ABUS D’ATTAQUES 

CONTRE LE CAMP DES DEMOCRATES

OU 

COMMENT AIDER LA MARCHE SUR LE POUVOIR DU RN


Difficile de ne pas se demander : qu’est-ce qui lui prend ? Qu’est-ce qui lui arrive ?

D’éditoriaux en interventions sur les plateaux de télévision, Natacha Polony un jour cible les Insoumis – qui, seraient-ils aussi détestables que le RN, ne risquent pas, eux, d’obtenir la majorité absolue à la prochaine AN -, le jour suivant cloue une fois encore au pilori Mélenchon et ses lieutenants – pour antipathiques , inutilement agressifs et néfastes à la gauche qu’ils soient, ont quand même fait les concessions nécessaires à la formation du Nouveau Front Populaire -, et, cette fois, anathémise par avance une désobéissance civile qui, dans la Fonction publique, se dresserait contre les décisions d’un gouvernement Bardella-Ciotti.

Sous le régime de Vichy – combien l’a-t-on déploré ! -, il ne s’est trouvé qu’un seul magistrat français pour refuser de prêter serment au maréchal Pétain.

Avec demain, le RN au pouvoir,  le péril serait-il vraiment que la souveraineté de « nombre de citoyens » (les électeurs ralliés à ce parti, et évidemment, à « (ses) politiques en matière d’immigration et de sécurité »  soit  bafouée ?

La mise en garde énoncée à cet égard  par Natacha Polony  est des plus catégoriques : « Un fonctionnaire qui refuse de respecter les choix d’un gouvernement élu au motif qu’ils seraient « contraires aux valeurs de la République » s’arroge le droit de décider ce qu’est la République ».

Sauf que dans une démocratie, qui est par définition un état de droit, il ne suffit pas qu’une mesure prise par les gouvernements soit « parfaitement conforme à la loi  » : encore faut-il que la loi en cause – et on pense ici à n’importe quelle loi votée par une majorité RN – soit conforme aux principes sur lesquels le contrat social de la République a été établi.

Ce qui se traduit par la primauté de la Constitution, et des Droits que celle-ci déclare comme inséparables de sa fondation et dont ses gardiens à tous les niveaux se réclament, sur les lois ordinaires. Quelle que soit la majorité, parlementaire ou référendaire, dont ces lois se veulent issues.

De cette hiérarchie des normes, emblématique de la modernité juridique construite depuis trois siècles, découle tant la séparation des pouvoirs que la faculté ouverte aux citoyens de contester la constitutionnalité d’une loi.

Il ne parait malheureusement pas inutile de rappeler à Natacha Polony que sur un autre niveau du jugement politique, prévalent – en vertu d’une autre construction du Bien commun – la liberté intangible de l’objection de conscience et la prééminence de ‘’lois non écrites’’ qui sont les premiers remparts de la dignité humaine.

Double rappel qui s’impose avec une exigence toute particulière dans la situation, hier impensable, qui voit l’extrême-droite nationaliste et identitaire, xénophobe et raciste, homophobe et cléricale à une marche du pouvoir.

On peut interpeller le monde politique à partir de décennies de frustrations, de colères et de récusations touchant à ce qui a trait aux politiques d’éducation appliquées dans notre pays et à leurs conséquences sociétales. Mais pas au point de ne pas avoir devant les yeux l’image dégradante pour notre République d’une Marine Le Pen présidente de L’Assemblée nationale.

Didier LEVY

D’humeur et de raison 27 juin 2024 

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un ÉDITOrial DE NATACHA POLONY

27 juin 2024

 

"L'abus de désobéissance civile ou comment achever la démocratie"

Angoisse, et surtout fatigue. Tels sont les sentiments qui traversent les Français deux semaines après la dissolution, selon une étude de l’institut Verian pour la Fondation Jean Jaurès. Le contraire eût été étonnant, tant ces trois semaines de campagne express ont ressemblé à l’ouverture d’une gigantesque boîte de Pandore libérant potentiellement le chaos.

Le danger le plus évident (si l’on considère que le RN a pour l’heure très peu de chances d’obtenir une majorité absolue) est bien sûr de voir sortir des urnes une chambre qui rendrait le pays totalement ingouvernable. Les options sont multiples. Une politique du pire menée à coups de motions de censures par des blocs de droite et de gauche radicales suffisamment puissants pour pousser 
Emmanuel Macron à la démission ? Un RN à 240 ou 250 députés, c’est-à-dire sans majorité absolue mais pesant suffisamment pour obérer toute forme de solution alternative ?

Malgré la solidité des institutions de la Ve République, qui sert depuis déjà longtemps à maintenir au pouvoir des partis minoritaires ne tenant que sur le rejet du ou des adversaires, l’état de crispation du pays, dans lequel chaque bloc dénie aux autres jusqu’à la légitimité du courant idéologique qu’il représente, ne peut qu’aboutir à des conflits de plus en plus violents.

Pour autant, un autre danger se fait jour, moins immédiat mais non moins destructeur. On a vu fleurir ces derniers jours les déclarations de préfets annonçant qu’en cas de victoire du Rassemblement national, ils refuseraient d’appliquer certaines décisions du pouvoir en place, s’appuyant sur le droit de « refuser un ordre illégal » ou qui serait « de nature à compromettre gravement l’intérêt public ». C’est l’article L121-10 du Code général de la fonction publique. C’est également cet article qu’ont sans doute en tête les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui ont signé 
sur Change.org une pétition pour déclarer qu’ils n’obéiraient pas à un ministre issu du Rassemblement national.

UNE SOUVERAINETÉ BAFOUÉE ?
On a bien compris que la peur de voir le RN remporter une majorité absolue dimanche 7 juillet incite certains à des assauts de ferveur résistante. Se sentir Jean Moulin sans risquer la torture est un vertige plaisant. Peut-être serait-il nécessaire, cependant, de se demander ce que produiront, à moyen ou long terme, ces déclarations de gens, en particulier de fonctionnaires, qui s’autoriseraient donc à ne pas respecter leur obligation de neutralité et à désobéir à un gouvernement issu des urnes, élu par une majorité de citoyens.

On ne parle pas là d’un gouvernement qui édicterait un ordre illégal mais d’un gouvernement qui appliquerait une politique pouvant être contestable, voire odieuse, mais pour autant parfaitement conforme à la loi. On se souvient des enseignants qui, en 2008, expliquaient qu’ils ne mettraient pas en œuvre les programmes portés par Xavier Darcos, ministre de Nicolas Sarkozy, au motif qu’ils prétendaient enseigner les quatre opérations fondamentales dès le CE1, et autres dispositions « réactionnaires ».

Le passé nous a appris qu’il est abject de se réfugier derrière les ordres pour s’exonérer de sa responsabilité quand des crimes sont commis, mais parlons-nous bien de la même chose ? Un fonctionnaire qui refuse de respecter les choix d’un gouvernement élu au motif qu’ils seraient « contraires aux valeurs de la République » s’arroge le droit de décider ce qu’est la République sans pour autant véritablement la définir.

Ce faisant, il annonce par avance à nombre de citoyens que leur souveraineté sera bafouée, que leur voix ne compte pas et que, quoi qu’il arrive, les politiques qu’ils voudraient voir mener – on parle évidemment des politiques en matière d’immigration et de sécurité – ne s’appliqueront jamais.

« AGGIORNAMENTO » DES PARTIS DE GAUCHE EN EUROPE
Déjà, la façon dont la défense de l’État de droit est utilisée pour imposer des jurisprudences penchant systématiquement en faveur des droits individuels et empêchant toute régulation des flux migratoires a progressivement miné la confiance des citoyens en la démocratie, en les persuadant que, quand ils votaient pour des partis dits de gouvernement, leur voix n’était pas entendue.

Leur expliquer désormais que certains peuvent s’arroger le droit de ne pas respecter le verdict des urnes quand ils considèrent agir pour le Bien, c’est détruire le peu de confiance qu’il leur reste dans la démocratie et précipiter le chaos. C’est, accessoirement, les autoriser, de leur côté, à ne pas respecter non plus la démocratie.

Les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui s’expriment dans cette pétition semblent oublier que si nombre de professeurs votent aujourd’hui pour le RN, ce qui paraissait impensable il y a encore quinze ans, c’est parce que le degré de violence dans les classes, l’effondrement du niveau et le délabrement de l’institution ont été niés pendant de longues années. Les quelques lanceurs d’alerte étaient traités de réactionnaires, assimilés à l’extrême droite alors qu’ils défendaient l’école de la République, garante du progrès social et de l’émancipation.

On rêverait d’un véritable 
Front populaire, qui entendrait les aspirations des plus modestes, non pas seulement en matière de pouvoir d’achat et de participation à l’impôt mais aussi en matière d’éducation, de protection, de laïcité et d’immigration pour répondre aux élucubrations et aux idées simplistes du RN. Ailleurs en Europe, des partis de gauche ont commencé leur aggiornamento. En France, pour l’instant, l’antifascisme tient lieu de ciment et de programme.

 

 

vendredi 14 juin 2024

A Françoise Hardy

 

A Françoise Hardy

 

Françoise,  

Je ne saurai jamais comment te dire adieu,

 

Car Françoise je t’aime

Je t’ai aimé plus qu’ensemble Tous les garçons de ton âge

Et plus qu’ensemble j’aurais pu aimer toutes Les filles de ton âge

 

Car Françoise combien j’aime tes chansons

J’ai aimé il est vrai une à une toutes tes chansons

Sauf celle où tu me disais que tu n’étais Pas d’accord

 

Car Françoise j’aime tes lèvres délicates

J’ai aimé tes lèvres Ce petit cœur qui dessinait

Les mots de tes chansons

 

Car Françoise j’aime le doux mouvement de tes cheveux

J’ai aimé leur mouvement à ton changement d’humeur

A ton changement de strophe ô Mon amie la rose

 

Car Françoise j’aime ton élégance ton Soleil

J’ai aimé ton élégance où se mariaient tous tes charmes

A tous tes âges

 

Car Françoise j’aime à jamais non Premier bonheur du jour

J’ai aimé ta première photo aux yeux de mes quinze ans d’ado

 

Car Françoise j’aime la mélancolie

J’ai aimé la douceur de la tienne m’apprenant

Qu’Il n’y a pas d’amour heureux,

 

Françoise je sais qu’il faut Partir quand même

Mais ne me donne pas Rendez‐vous dans une autre vie

Laisse encore à la mienne ces Tant de belles choses

Que j’appelle ta beauté.

 

Didier LEVY - 14 juin 2024