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samedi 29 juin 2024

AU SUJET D'UN EDITORIAL DONT L'AUTEURE SE CROIT EN TEMPS DE PAIX

 

Il m'a paru qu'il fallait réagir au tout dernier éditorial de Natacha Polony qui rejoint l'esprit de ses déclarations actuelles sur les plateaux de télévision.

Cette fois, j'y ai vu davantage qu'une aide indirecte au RN (''taper" sans relâche sur LFI).

Une sorte de légitimation par avance d'un gouvernement RN. Par la vertu d'une expression absolutiste de la souveraineté populaire.

Qui passe outre aux limites que l'état de droit (et l'éthique politique) fixe à cette souveraineté.

 Voici donc ce que j'ai opposé sur facebook à cet éditorial.

L'éditorial de Natacha Polony est reproduit à la suite.


 L’ABUS D’ATTAQUES 

CONTRE LE CAMP DES DEMOCRATES

OU 

COMMENT AIDER LA MARCHE SUR LE POUVOIR DU RN


Difficile de ne pas se demander : qu’est-ce qui lui prend ? Qu’est-ce qui lui arrive ?

D’éditoriaux en interventions sur les plateaux de télévision, Natacha Polony un jour cible les Insoumis – qui, seraient-ils aussi détestables que le RN, ne risquent pas, eux, d’obtenir la majorité absolue à la prochaine AN -, le jour suivant cloue une fois encore au pilori Mélenchon et ses lieutenants – pour antipathiques , inutilement agressifs et néfastes à la gauche qu’ils soient, ont quand même fait les concessions nécessaires à la formation du Nouveau Front Populaire -, et, cette fois, anathémise par avance une désobéissance civile qui, dans la Fonction publique, se dresserait contre les décisions d’un gouvernement Bardella-Ciotti.

Sous le régime de Vichy – combien l’a-t-on déploré ! -, il ne s’est trouvé qu’un seul magistrat français pour refuser de prêter serment au maréchal Pétain.

Avec demain, le RN au pouvoir,  le péril serait-il vraiment que la souveraineté de « nombre de citoyens » (les électeurs ralliés à ce parti, et évidemment, à « (ses) politiques en matière d’immigration et de sécurité »  soit  bafouée ?

La mise en garde énoncée à cet égard  par Natacha Polony  est des plus catégoriques : « Un fonctionnaire qui refuse de respecter les choix d’un gouvernement élu au motif qu’ils seraient « contraires aux valeurs de la République » s’arroge le droit de décider ce qu’est la République ».

Sauf que dans une démocratie, qui est par définition un état de droit, il ne suffit pas qu’une mesure prise par les gouvernements soit « parfaitement conforme à la loi  » : encore faut-il que la loi en cause – et on pense ici à n’importe quelle loi votée par une majorité RN – soit conforme aux principes sur lesquels le contrat social de la République a été établi.

Ce qui se traduit par la primauté de la Constitution, et des Droits que celle-ci déclare comme inséparables de sa fondation et dont ses gardiens à tous les niveaux se réclament, sur les lois ordinaires. Quelle que soit la majorité, parlementaire ou référendaire, dont ces lois se veulent issues.

De cette hiérarchie des normes, emblématique de la modernité juridique construite depuis trois siècles, découle tant la séparation des pouvoirs que la faculté ouverte aux citoyens de contester la constitutionnalité d’une loi.

Il ne parait malheureusement pas inutile de rappeler à Natacha Polony que sur un autre niveau du jugement politique, prévalent – en vertu d’une autre construction du Bien commun – la liberté intangible de l’objection de conscience et la prééminence de ‘’lois non écrites’’ qui sont les premiers remparts de la dignité humaine.

Double rappel qui s’impose avec une exigence toute particulière dans la situation, hier impensable, qui voit l’extrême-droite nationaliste et identitaire, xénophobe et raciste, homophobe et cléricale à une marche du pouvoir.

On peut interpeller le monde politique à partir de décennies de frustrations, de colères et de récusations touchant à ce qui a trait aux politiques d’éducation appliquées dans notre pays et à leurs conséquences sociétales. Mais pas au point de ne pas avoir devant les yeux l’image dégradante pour notre République d’une Marine Le Pen présidente de L’Assemblée nationale.

Didier LEVY

D’humeur et de raison 27 juin 2024 

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un ÉDITOrial DE NATACHA POLONY

27 juin 2024

 

"L'abus de désobéissance civile ou comment achever la démocratie"

Angoisse, et surtout fatigue. Tels sont les sentiments qui traversent les Français deux semaines après la dissolution, selon une étude de l’institut Verian pour la Fondation Jean Jaurès. Le contraire eût été étonnant, tant ces trois semaines de campagne express ont ressemblé à l’ouverture d’une gigantesque boîte de Pandore libérant potentiellement le chaos.

Le danger le plus évident (si l’on considère que le RN a pour l’heure très peu de chances d’obtenir une majorité absolue) est bien sûr de voir sortir des urnes une chambre qui rendrait le pays totalement ingouvernable. Les options sont multiples. Une politique du pire menée à coups de motions de censures par des blocs de droite et de gauche radicales suffisamment puissants pour pousser 
Emmanuel Macron à la démission ? Un RN à 240 ou 250 députés, c’est-à-dire sans majorité absolue mais pesant suffisamment pour obérer toute forme de solution alternative ?

Malgré la solidité des institutions de la Ve République, qui sert depuis déjà longtemps à maintenir au pouvoir des partis minoritaires ne tenant que sur le rejet du ou des adversaires, l’état de crispation du pays, dans lequel chaque bloc dénie aux autres jusqu’à la légitimité du courant idéologique qu’il représente, ne peut qu’aboutir à des conflits de plus en plus violents.

Pour autant, un autre danger se fait jour, moins immédiat mais non moins destructeur. On a vu fleurir ces derniers jours les déclarations de préfets annonçant qu’en cas de victoire du Rassemblement national, ils refuseraient d’appliquer certaines décisions du pouvoir en place, s’appuyant sur le droit de « refuser un ordre illégal » ou qui serait « de nature à compromettre gravement l’intérêt public ». C’est l’article L121-10 du Code général de la fonction publique. C’est également cet article qu’ont sans doute en tête les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui ont signé 
sur Change.org une pétition pour déclarer qu’ils n’obéiraient pas à un ministre issu du Rassemblement national.

UNE SOUVERAINETÉ BAFOUÉE ?
On a bien compris que la peur de voir le RN remporter une majorité absolue dimanche 7 juillet incite certains à des assauts de ferveur résistante. Se sentir Jean Moulin sans risquer la torture est un vertige plaisant. Peut-être serait-il nécessaire, cependant, de se demander ce que produiront, à moyen ou long terme, ces déclarations de gens, en particulier de fonctionnaires, qui s’autoriseraient donc à ne pas respecter leur obligation de neutralité et à désobéir à un gouvernement issu des urnes, élu par une majorité de citoyens.

On ne parle pas là d’un gouvernement qui édicterait un ordre illégal mais d’un gouvernement qui appliquerait une politique pouvant être contestable, voire odieuse, mais pour autant parfaitement conforme à la loi. On se souvient des enseignants qui, en 2008, expliquaient qu’ils ne mettraient pas en œuvre les programmes portés par Xavier Darcos, ministre de Nicolas Sarkozy, au motif qu’ils prétendaient enseigner les quatre opérations fondamentales dès le CE1, et autres dispositions « réactionnaires ».

Le passé nous a appris qu’il est abject de se réfugier derrière les ordres pour s’exonérer de sa responsabilité quand des crimes sont commis, mais parlons-nous bien de la même chose ? Un fonctionnaire qui refuse de respecter les choix d’un gouvernement élu au motif qu’ils seraient « contraires aux valeurs de la République » s’arroge le droit de décider ce qu’est la République sans pour autant véritablement la définir.

Ce faisant, il annonce par avance à nombre de citoyens que leur souveraineté sera bafouée, que leur voix ne compte pas et que, quoi qu’il arrive, les politiques qu’ils voudraient voir mener – on parle évidemment des politiques en matière d’immigration et de sécurité – ne s’appliqueront jamais.

« AGGIORNAMENTO » DES PARTIS DE GAUCHE EN EUROPE
Déjà, la façon dont la défense de l’État de droit est utilisée pour imposer des jurisprudences penchant systématiquement en faveur des droits individuels et empêchant toute régulation des flux migratoires a progressivement miné la confiance des citoyens en la démocratie, en les persuadant que, quand ils votaient pour des partis dits de gouvernement, leur voix n’était pas entendue.

Leur expliquer désormais que certains peuvent s’arroger le droit de ne pas respecter le verdict des urnes quand ils considèrent agir pour le Bien, c’est détruire le peu de confiance qu’il leur reste dans la démocratie et précipiter le chaos. C’est, accessoirement, les autoriser, de leur côté, à ne pas respecter non plus la démocratie.

Les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui s’expriment dans cette pétition semblent oublier que si nombre de professeurs votent aujourd’hui pour le RN, ce qui paraissait impensable il y a encore quinze ans, c’est parce que le degré de violence dans les classes, l’effondrement du niveau et le délabrement de l’institution ont été niés pendant de longues années. Les quelques lanceurs d’alerte étaient traités de réactionnaires, assimilés à l’extrême droite alors qu’ils défendaient l’école de la République, garante du progrès social et de l’émancipation.

On rêverait d’un véritable 
Front populaire, qui entendrait les aspirations des plus modestes, non pas seulement en matière de pouvoir d’achat et de participation à l’impôt mais aussi en matière d’éducation, de protection, de laïcité et d’immigration pour répondre aux élucubrations et aux idées simplistes du RN. Ailleurs en Europe, des partis de gauche ont commencé leur aggiornamento. En France, pour l’instant, l’antifascisme tient lieu de ciment et de programme.

 

 

vendredi 14 juin 2024

A Françoise Hardy

 

A Françoise Hardy

 

Françoise,  

Je ne saurai jamais comment te dire adieu,

 

Car Françoise je t’aime

Je t’ai aimé plus qu’ensemble Tous les garçons de ton âge

Et plus qu’ensemble j’aurais pu aimer toutes Les filles de ton âge

 

Car Françoise combien j’aime tes chansons

J’ai aimé il est vrai une à une toutes tes chansons

Sauf celle où tu me disais que tu n’étais Pas d’accord

 

Car Françoise j’aime tes lèvres délicates

J’ai aimé tes lèvres Ce petit cœur qui dessinait

Les mots de tes chansons

 

Car Françoise j’aime le doux mouvement de tes cheveux

J’ai aimé leur mouvement à ton changement d’humeur

A ton changement de strophe ô Mon amie la rose

 

Car Françoise j’aime ton élégance ton Soleil

J’ai aimé ton élégance où se mariaient tous tes charmes

A tous tes âges

 

Car Françoise j’aime à jamais non Premier bonheur du jour

J’ai aimé ta première photo aux yeux de mes quinze ans d’ado

 

Car Françoise j’aime la mélancolie

J’ai aimé la douceur de la tienne m’apprenant

Qu’Il n’y a pas d’amour heureux,

 

Françoise je sais qu’il faut Partir quand même

Mais ne me donne pas Rendez‐vous dans une autre vie

Laisse encore à la mienne ces Tant de belles choses

Que j’appelle ta beauté.

 

Didier LEVY - 14 juin 2024

 

lundi 3 juin 2024

« Sur le moulin des ombres ».

 .

Début 2009, se répandait depuis le Brésil une nouvelle qui laissait atterré et meurtri. Et même, pour beaucoup, horrifié.

Après l'avortement d'une fille de 9 ans, violée par son beau-père et enceinte de jumeaux, l'archevêque de Recife avait prononcé l'excommunication de sa mère et du corps médical qui avait pratiqué cet avortement.

L’excommunication avait provoqué un scandale, lequel était encore aggravé par le fait qu’il était apparu que l'archevêque ne l'avait pas étendue au beau-père de l'enfant. Pour le motif, qui aujourd’hui provoquerait l’explosion de colère qu’on imagine : « Le viol est moins grave que l'avortement ». Quelques jours plus tard, la conférence nationale des évêques du Brésil s'était désolidarisée de la décision de l'archevêque.

Mais le Vatican avait soutenu cette décision par la voix du cardinal Giovanni Battista Re, président de la commission pontificale pour l'Amérique latine : ce dernier, dans un entretien donné à la ‘’La Stampa’’, avait déclaré qu'il s'agissait « d'un cas triste, mais (que) le vrai problème, (c’était) que les jumeaux conçus étaient des personnes innocentes qui ne pouvaient être éliminées ». Le journaliste du quotidien italien avait-il alors demandé au cardinal si la fillette, qui subissait des abus sexuels de la part de son beau-père depuis l’âge de 6 ans (ainsi que sa sœur aînée, âgée de 14 ans et handicapée de surcroît), était à regarder comme une autre sorte de personne innocente[1] ?

La question, il est vrai, n’était pas de confronter des innocences qui, au mieux, auraient été déclarées antagonistes. Comme elle n’est pas de débattre de la conviction qui dirigeait les excommunicateurs de 2009 - cette conviction au reste est rendue insusceptible de discussion, vis à vis notamment des avancées de la connaissance scientifique, pour s’être ancrée depuis des siècles aussi profondément qu’un article de foi ou un commandement attribué au divin.

 

L’ombre portée du scandale  

Le crime sexuel exposé au grand jour, et dans toute son horreur, en 2009 appartient-il à un passé déjà lointain ? Assurément non : innombrables sont ceux, identiques, qui depuis ont été publiés, et jamais autant n’ont été documentés que toutes ces dernières années[2].

Le viol de cet enfant brésilienne se serait le plus probablement perdu dans le nombre monstrueux de ceux, pareillement infligés à des mineur(e)s, qui l’ont suivis, tous dans la terrible continuité d’une abomination perpétrée depuis la nuit des temps Il reste cependant gravé dans nos mémoires par ce qu’ont laissé d’ineffaçables les excommunications qui en furent la suite. 

Ineffaçable en ce que le déni que celles-ci portaient à l’encontre de la charité (on peut tout autant retenir les mots de pitié, de solidarité ou encore d’équité) conduisait à y voir un crime contre l’esprit en même temps qu’un acte de dénaturation commis contre l’humanité.

Pour nombre de celles et de ceux que ces excommunications avaient bouleversé, il ne sera plus jamais envisageable de prendre part à un débat où serait mis en cause le droit à l’avortement ; plus encore, aucun argumentaire, d’obédience religieuse et/ou de militance politique, qui mettrait en avant le statut de personne attribué à l’embryon ou au fœtus pour proscrire l’IVG, ne sera tout simplement plus jamais audible.

 

… n’occulte pas la place qui appartient à la liberté de conscience ...

La reconnaissance - et a fortiori dans toute l’étendue que celle-ci en France a acquise - du droit d’avorter repose au premier chef sur la liberté de conscience. Il va sans dire que cette liberté, la plus fondamentale dans une société démocratique, vaut pour « (les) idéologues de l’embryon-personne dès la première heure » (emprunt étant fait ici à Irène Théry).

Pour ces derniers, leur pleine liberté est celle de convertir, autrement dit de convaincre pour faire partager leur opinion de conscience par d’autres consciences. Mais elle est tenue par la définition même de la liberté qui se confond avec celle de sa limite: son exercice personnel, et plus singulièrement encore celui des libertés touchant au croire et au non-croire, s’arrête là où commence l’exercice garanti à autrui (que soit dans la même matière ou dans une autre). En découle que l’opposante à l’IVG peut s’interdire d’y recourir[3] et que chacune et chacun est libre de vouloir persuader ses concitoyens de se ranger volontairement sur cette interdiction, mais que la Loi fondamentale d’une démocratie ne laisse pas la place à une négation légale du choix individuel, ou à une abolition du droit à l’avortement tel que celui-ci est légalisé et ouvert au titre des libertés instituées et des suretés communes.

Le statut de l’embryon et du fœtus n’est donc pas écarté du débat public. Au demeurant, le législateur s’est référé, dans ses fixations successives des délais pour avorter, à l’état du savoir scientifique relatif à « l’être anténatal » (autre emprunt à Irène Théry[4]). Mais dans la confrontation des choix de conscience, la proscription de l’interruption volontaire de grossesse procède d’une conception métaphysique de ce même être anténatal * - ce qui, en soi, n’invalide bien entendu en rien la conviction qui trouve là sa source.

 

… mais laisse bien mesurer le paradoxe qui est inséparable de la liberté.

Demeure en effet que dans le champ politique, l’ontologie essentialiste qui consacre l’embryon en tant que personne, est presque exclusivement partagée par des familles de pensée qui s’agissant en particulier du droit d’avorter récusent, ouvertement ou de fait, la liberté de conscience. Une récusation qui, dans la très grande majorité des cas, invoque la supériorité absolue d’une prescription confessionnelle, et l’intangibilité irrévocable de l’enseignement doctrinal auquel cette prescription doit de ne pouvoir connaître aucune exception. La réquisition d’y obéir se veut la plus impérative, et, surtout, la contrainte à s’y conformer s’énoncera comme universelle, quand la prescription se revendique d’une lecture cultuelle traditionnaliste ou, a fortiori, d’un intégrisme assumé.

Ce paradoxe de la liberté dirigée et instrumentée contre elle-même participe de la plus éclairante pédagogie de la démocratie. Et pour la nôtre, restitue tout son sens à la Séparation des cultes et de l’Etat républicain : au second l’impérieuse obligation de protéger le libre exercice des cultes et d’assurer la liberté des croyances et, partant, des non-croyances ; et aux premiers, celle de respecter les lois instituées par la République en tant qu’expression démocratique de la volonté des citoyens. Avec, pour toute première résultante qu’aucun culte ne saurait prétendre que son système de pensée, ses certitudes et les règles qu’il édicte pour ses fidèles, puissent prendre valeur et force de loi dans la société civile : dans les matières où un état démocratique consacre la liberté de conscience, une loi ainsi formée abolirait le libre choix et la libre détermination des individus – rien d’autre pour ceux-ci que la privation de droits déclarés inaliénables, et une identique privation qu’ils soient étrangers ou affiliés au culte considéré.

.La Séparation actée depuis 1905, et à laquelle depuis s’adossent les libertés de pensée, d’opinion et d’expression, exclut non seulement qu’une autorité religieuse et ses auxiliaires dictent les lois applicables dans la République, mais également qu’ils concourent à leur élaboration, ou à leur rejet, notamment par un jeu de pressions et de positions acquises – soit tout ce que recouvre la notion de cléricalisme[5]. En revanche, sur les mêmes sujets de jugement intime, et à partir des mêmes principes, la législation d’une démocratie se doit d’inclure une clause d’objection de conscience, en exposant de façon précise la configuration que celle-ci comporte.

 

En conclusion proposée : convaincre n’est pas légiférer.

Autant d’éléments de la pédagogie démocratique qui sont censés être archi connus et de longue date. Néanmoins, dans les mises en cause du droit à l’IVG, dans les menaces dirigées contre ce droit, c’est bien le cléricalisme attaché au catholicisme, et les mouvances qui aspirent à le faire perdurer, qui constituent le force de motivation et d’influence de loin la plus importante. Une force qui s’est pareillement mobilisée – ou remobilisée depuis la seconde moitié du siècle passé – sur tous les sujets où les lois de la République cessaient de s’accorder, ou de s’aligner, sur les vues et les enseignements de l’Eglise romaine.

De la libération de la contraception (de son usage et, en amont, de sa connaissance et de sa prescription) à la légalisation de l’interruption volontaire grossesse, mais également du PACS au ‘’Mariage pour tous’’, et à présent sur ‘’l’Aide à mourir’’ dans la dignité, les contre-offensives politiques et sociétales, motivant les obstructions destinées à arrêter chacune de ces subversions de l’Ordre moral, ont eu ce cléricalisme pour principal concepteur et les courants traditionnalistes et intégristes du catholicisme pour premiers bataillons de combat. Le cas du ‘’Mariage pour tous’’, et l’appel virulent à de multiples manifestations de rejet auquel la discussion de celui-ci au Parlement a donné lieu, sont à cet égard particulièrement exemplaires.

Chaque citoyen avait naturellement la faculté de déclarer une opinion contraire au projet - et d’avoir conformé cette opinion sur ses convictions religieuses -, ainsi que de traduire cette opposition de principe en déterminant de ses votes à venir. En revanche, se joindre à une campagne très majoritairement confessionnelle qui prenait des allures de croisade, et défiler par les rues dans la résolution de figer la loi sur la position défendue par les ‘’Manifs pour tous’’, procédait d’un enrôlement cléricaliste qui affirmait une méconnaissance ou un déni du caractère laïque de la législation républicaine. Un caractère que soulignait pourtant le fait – ô combien flagrant – que le droit ouvert aux couples homosexuels s’inscrivait dans le cadre exclusif du mariage civil officialisé par une autorité publique, par nature et en droit totalement distinct des mariages célébrés par les différents cultes, et seul reconnu par la République : un mariage civil conformé et défini par la loi - expression de la volonté générale et émanation du vote majoritaire des représentants du peuple. En l’espèce, la modification de la loi en vigueur était placée de surcroît sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Sur tous ces sujets, comme pour les autres débats et controverses touchant des domaines comparables ou voisins, ne faut-il pas anticiper la montée des passions sourcées dans le religieux par un rappel en forme d’avertissement : la laïcité des institutions, et son fondement juridique qu’a été en France la ‘’Séparation des cultes et de l’Etat’’, sont la première, et souvent l’unique assurance politique apportée à la liberté de conscience. Un rappel et une mise en garde qui ne devraient pas même nécessiter qu’on les motive par les violations qui, de par le monde, sont infligées à ce que nous tenons pour les droits humains les plus imprescriptibles, et par les persécutions, les terreurs et les crimes indicibles qui en résultent.

Oui, et « Qu'importe comment s'appelle / Cette clarté sur leur pas », pour la liberté de toutes et de tous, ‘’Le cléricalisme, voilà l’ennemi’’. D’où qu’il vienne.

Didier LEVY

« D’humeur et de raison » - 31 mai 2024

Le titre « Sur le moulin des ombres  » est tiré du poème de Paul Éluard «Liberté ».

* L’ontologie essentialiste appliquée à l’embryon peut ne se placer qu’en arrière-plan de la criminalisation de l’avortement. Ainsi est-ce au nom d’un natalisme réactionnaire érigé en raison d’Etat par le régime de Vichy, que l’avorteuse Marie-Louise Giraud fut condamnée à la peine de mort ; elle fut exécutée le 30 juillet 1943 dans la cour de la prison de la Roquette à Paris, le maréchal Pétain ayant refusé de la gracier. Le  film de Claude Chabrol «Une affaire de femmes», sorti en 1988 et adapté du livre du même nom de l'avocat Francis Szpiner, retrace l’histoire de cette ‘’faiseuse d'anges’’ (incarnée à l’écran par Isabelle Huppert), jugée pour avoir pratiqué 27 avortements dans la région de Cherbourg, qui fut l’une des dernières femmes guillotinées en France.


[1] On notera seulement qu’à son âge, l’enfant violée mesurait 1,36 m et pesait 33 kg, et que les médecins avaient conclu que son corps était incapable de mener cette double grossesse à terme.

[2] Et, particulièrement dans le cas du Brésil, les avortements de mineures violentées (ainsi en 2020, celui d’une enfant de 10 ans enceinte suite à un viol commis par son oncle) n’ont pas cessé provoquer les condamnations des milieux hostiles à l’IVG - les réactions les plus véhémentes y viennent à présent des groupes dits évangéliques et des personnages politiques que soutiennent ceux-ci.

[3] Tout comme, bien sûr, le médecin sollicité est, sous certaines conditions légales (par ailleurs sans doute trop imprécises), en droit de refuser de pratiquer l’intervention.

[4] Ces deux emprunts étant tirés d’une très stimulante publication qu’Irène Théry a fait paraitre sur facebook le 16 mai 2024, appelant à la lecture de l’étude qu’Anne-Sophie Giraud, chargée de recherches au CNRS, a consacré à l'ethnographie de notre rapport à la vie anténatale.

[5] Un cléricalisme qui s’identifie ici à la récusation qu’en formulait Léon Gambetta, et non à celui que le pape François s’efforce avec tant de peine de réduire. Reste saisissant qu’à largement plus d’un siècle de distance, le pouvoir clérical soit, dans sa nature même, dénoncé de deux bords qui jadis opposaient leurs visions du monde et du bien.